Marie-Claude MIGNONNEAU
Artiste. Plasticienne - Peintre - Sculpteur - Poète - Conteuse   
Flash
: Le Message - Acrylique sur toile, en exposition Maisons-Alfort, Office Municipal de la Culture en 1985
   

Ma rencontre avec Marie-Claude se situe en 1984. Ce fut le début d'une extraordinaire amitié. Les arts plastiques - la peinture en particulier - et la musique ne s'allient pas forcément toujours... la mise en oeuvre et en commun des deux expressions et des deux moyens n'est pas chose facile. La poésie nous a réunis. Jai toujours considéré ma musique comme inachevée en soi. Je l'ai toujours pensée en partage. Le travail de Marie-Claude m'apporta, alors, une réponse.


Marie-Claude Mignonneau



Dans le secret gardé de son atelier, l'artiste travaille. Sous le pinceau viennent se poser, comme par évidence, les constructions intimes, infinies et imbriquées. La peintre ne saurait se délier un instant de l'oeuvre qui se fait, par  elle. Je voudrais être insecte malicieux pour virevolter, de ci de là, effleurer ses cheveux, raser la couleur encore fraîche, me poster en coin de chevalet, immobile et respirant à peine, pour capter chaque battement de coeur, chaque cillement de regard, chaque caresse de la toile. Partager ces instants mystérieux et précieux de la création. 
Alors, intrigué parfois, émerveillé toujours et naturellement ravi, je vais contempler sans retenue, et sans remords, l'extraordinaire miracle de la naissance de l'oeuvre. Seuls parfois quelques crissements d'ailes, bien furtifs et à peine audibles, pourraient témoigner de ma présence d'insecte...
Les peintures de Marie - Claude sont des pages d'histoires, d'Histoire. Des paysages, souvent à peine esquissés, comme furtifs, installent de multiples plans de lecture. Dans une construction savante, qui ne laisse rien au hasard, tous ces plans sont imbriqués les uns dans les autres, et, bien souvent en construisent ainsi d'autres... dans l'absolu, il n'y a pas de limites, autres que celles de la toile, à cette expansion. Certaines figures sont rémanentes, comme par exemple le bâteau, son mat et sa coque, mais aussi les escaliers, qui parfois défient toutes les lois de la mathématique.  Il y aussi les arbres, en général juste suggérés, mais parfaitement identifiables. Aux coeurs de ces paysages, d'innombrables visages et corps, mais aussi des figures animales ou mythologiques, semblent flotter, venus de nulle part, comme dans une apesanteur calculée, qui les maintient ainsi pour l'éternité. Sauf que parfois, se déplaçant devant la toile, la vision change, la construction se métamorphose, et donne alors à voir un nouveau monde. Magie du travail incroyablement précis et rigoureux de l'artiste. Le végétal prend une place également consistante au coeur de l'oeuvre. Nous évoquions les arbres, mais la présence végétale est très souvent beaucoup plus affirmée, dans un enchevètrement de lianes et de feuillages, de noeuds et de bosquets, de haies. Marie - Claude n'est pas une peintre figurative, la representation n'est jamais appuyée, jamais empreinte de poids. Bien au contraire, elle forme comme une symphonie de formes et d'harmonies colorées, qui, telle une page d'orchestre traverse, ici, le temps du spectateur. On peut ainsi rester bien longtemps devant une oeuvre, laissant pénétrer en nous les variations infinies voulues par l'artiste. Celle-ci, bien sur, sait manier les thèmes et les formes, la grammaire et le style, et n'hésite pas à s'inventer ses moyens lorsque nécessaire. L'oeuvre plastique se déploie très largement, abordant des univers à première vue très éloignés, mais en réalité tout proches. Dans nombre de peintures, tous ces visages, toutes ces bouches et ces corps, semblent nous parler, ils nous "disent quelque chose", mais ce message extrèmement subtil ne peut nous parvenir que dans l'émotionnel, en aucun cas, ou très rarement, il n'use de mots. Il fut un temps où Marie Claude accompagnait (presque) chaque peinture d'un poème, ou d'un texte. Tout l'univers de l'artiste était déjà bien posé dans ces oeuvres anciennes (pour le temps d'un humain...), mais les oeuvres d'aujourd'hui sont incomparablement plus denses, plus foisonnantes, plus universelles. Ce qui explique, peut-être, la disparition des textes systématiques. Subsistent parfois seulement, oserai - je dire, une forme de commentaire. Le travail de Marie - Claude se développe beaucoup dans la structure de la "série": en ce moment, Genevie, Les Reprisés, plus avant Les liens du tout, et souvenons-nous des Sept, des Cinq, et d'autres encore. Chaque peinture de la série est en elle-même autonome mais l'ensemble reste entier, dans l'esprit de l'artiste. Pour le visiteur, la découverte de  la série complète des toiles rassemblées dans l'exposition est impressionnante, exceptionnelle. Mais rares sont les privilégiés qui ont eu la chance de ces instants de bonheur. En effet, Marie - Claude ne conserve pas longtemps l'intégralité d'une série, et c'est heureux aussi pour la vie d'artiste... Une manie fort déplaisante du critique, ou de l'homme du savoir, consiste à toujours chercher à raccrocher une oeuvre, et donc son artiste, à des courants, des mouvements, des esthétiques, voir l'oeuvre d'autres artistes. Heureusement, je ne suis pas critique, ni même homme de savoir. Je ne rattache donc l'oeuvre de Marie - Claude à aucun de ces crochets de l'histoire de l'art. L'oeuvre de Marie - Claude Mignonneau est puissament unique, fortement originale et j'oserai dire, originelle. Elle inscrit dans les toiles toutes les préoccupations essentielles, toutes les vibrations et mutiplicités de la vie, et, bien sur, de l'amour. Car la vie est amour. Pour "matérialiser" son "dit", l'artiste use de son langage, tout personnel. Souvent, et comme je le disais plus avant, elle sait inventer tel ou telle, un petit bout de technique, l'usage innatendu d'un composant, le maniement étonnant d'une brosse, le mélange des matériaux improbables... Une expérience amusante consisterait à effectuer une sorte de radiographie des toiles. On serait stupéfait par la construction, sa rigueur, sa force et sa grande stabilité. Pourtant, lorsque l'on découvre la toile, le fourmillement semble bien souvent totalement désordonné. voir anarchique. Ici aussi réside le talent et la maîtrise de l'artiste, valeurs indispensables pour servir la pensée. Si l'on revient quelques instants sur le "peuplement" des peintures, on ne saurait oublier les corps, omniprésents, et tout comme les visages, bien souvent innombrables. Quelques fois, les visages ont des corps, quelques fois les corps ont des visages, mais il n'en est pas toujours ainsi, loin s'en faut. Sachons par contre, et c'est important, que jamais l'absence de l'un ou l'autre, à l'autre, ne témoigne de quelque violence qu'il soit. Tout est fondu, emmélé, enchevétré, et sans aucune trace traumatique. Les corps de Marie - Claude Mignonneau sont nus, intégralement nus, ils n'ont pas de cheveux. Ils sont pudiques, réservés. La femme y est toujours profondément sensuelle, ses pleins et déliés bien affirmés. Mais là, dans la plupart des cas car parfois c'est plus subtilement caché, reste la seule représentation visible du sexe. Nous savons ainsi que la genèse est inscrite. Sachons aussi ne pas omettre de mentionner la force du trait, la précision de la ligne, qui sait, à peu de frais, installer. Curieusement, la peinture de Marie - Claude irradie parfois un certain érotisme, mais, j'ai envie de dire, un "érotisme biblique". Cet érotisme là évolue aux confins du territoire des anges...

L'oeuvre et l'artiste... parfois, dans la grande histoire de l'art - et la petite aussi - l'humain bâtisseur est par trop décalé. Il n'en est rien avec Marie-Claude, c'est tout le contraire. La vie de  l'artiste est en parfaite harmonie avec l'oeuvre et son "dit", et quand on connaît Marie-Claude... comment pourrait-il en être autrement. Je n'imagine pas l'artiste trahissant sa propre philosophie et, telle Jeckyll et Mr. Hyde, troquer son âme de messagère inspirée pour l'habit clinquant de la femme ordinaire... Je pense que c'est ainsi que Marie-Claude parvient à l'authenticité pleine et profonde qui habite toutes ses oeuvres et nous réconforte tant, nous, visiteurs de son Monde, qui est aussi le nôtre mais dont nous ne percevons pas toujours les infimes et subtiles vibrations. La vie de l'artiste est un chemin  spirituel, tracé dans le temps - mais aussi dans le Temps, avec les pinceaux, les brosses et les mots, aussi. Marie-Claude dit souvent qu'elle n'est qu'un outil, et elle a sans doute raison. Son oeuvre procède d'une représentation de l'immatériel, mais aussi de l'éternel, de l'établi. C'est aussi pour cette raison qu'elle nous touche tant au coeur, et à l'esprit.
Technicienne curieuse et chercheuse infatiguable, les moyens de l'artiste ne pouvaient se limiter à la peinture, uniquement la peinture. Marie-Claude sculpte, Marie-Claude gratte, Marie-Claude cire et décire, Marie-Claude modèle, Marie-Claude "pixellise"... Marie-Claude écrit, aussi. Marie-Claude écrit depuis toujours. Des poèmes tout d'abord, universels et puissants, signifiants et concis, les mots ne sont jamais là pour l'être... Mais aussi des histoires, Marie-Claude adore les histoires, les personnages, les situations et les émotions, bien sur. Mais aussi des contes, souvent brefs et précis, qui savent aller à l'essentiel, nous faire sourire, rire, et parfois pleurer. Marie-Claude aime à dire, les mots avec lesquels elle joue. Elle sait captiver son auditoire, de sa voix douce et ancrée, la voix de ses mots... Marie-Claude sait aussi, quand il le faut, chatouiller le son, dérouler quelques notes de piano ou de flute, pour envoluter un conte, un film...
L'oeuvre de Marie-Claude est aussi, étonnament "musicale", étrangement "sonore". Ceci explique pourquoi elle a travaillé, et travaillera encore, avec des musiciens, compositeurs, percussionistes, artisans du son.
La figure musicale la plus emblématique, qui revient presque sans cesse dans les peintures de l'artiste, c'est bien sur la percussion. Percussion du coeur, percussion stellaire, percussion de l'âme... Omniprésente, sans doute depuis toujours, la percussion a conduit l'artiste à réaliser des oeuvres qu'elle appelle "percouleurs", contraction naturelle de percussions, et de couleurs. Ces oeuvres, souvent de belles dimensions, se construisent, en général, en deux temps: la création "live", lors de laquelle l'artiste trace à grands et petits gestes, dans une alchimie  puissante,  l'architecture, et l'âme du tableau., alors que le musicien percussionniste joue, souvent il s'agit de Djembé. La relation entre les deux artistes est  bien sur primordiale, c'est elle qui déterminera l'évolution ultérieure de l'oeuvre. L'esentiel. Si le lien ne fonctionne pas, il est probable que la "performance" n'ait pas de suite. La suite du travail de l'artiste se déroulera dans le secret de son atelier. Toute l'oeuvre est déjà là, jaillie lors de la "performance" mais il faut maintenant lui donner sa représentation finale, celle que le viisteur va rencontrer. Travail souvent long, minutieux, attentif et l'on retrouve ici l'artiste de chevalet, rigoureuse et sans compromis. L'univers des "percouleurs", s'il reste un peu "marginal" en termes de productions, se situe néanmoins au coeur de l'oeuvre de Marie-Claude. On retrouve dans les "percouleurs" les thèmes rémanents, les techniques, le "dit", juste donné "autrement", peut-être plus "légèrement", si l'on accepte ce mot dans son sens "d'avec légèreté", sans lourdeur aucune, effleurant, affleurant.

La peinture de Marie-Claude nous trouble. Elle touche à notre résonance intérieure. Quand nous étions à l'orée de la vie et que nous n'avions pas encore posé pied. Chargée d'émotion, l'oeuvre n'en est pas moins puissante et structurée. Comme je le disais plus avant, rien n'est laissé au hasard. Est-ce l'outil ainsi guidé qui construit ces grandes et labyrinthiques architectures, sont ce la volonté, la décision de l'artiste, l'inspiration artistique... sans doute un peu de tout cela, une sorte d'alchimie du bonheur de peindre. Marie-Claude n'est pas une artiste hantée par les emblématiques horreurs des civilisations. Ses oeuvres ne portent pas les blessures de la haine et du pouvoir. Pas d'étalage indécent, de sang ou de sexe, pas de représentation vulgaire, pas de violence gratuite. Tout ici est beaucoup plus subtilement distillé, un peu comme dans une homéopathie. Le "dit" n'en est pas moins puissant, bien au contraire, et c'est ainsi que cette oeuvre s'installe en nous pour ne plus jamais nous quitter. Avec le temps, dans notre mémoire et notre coeur, elle s'épanouit et prend peu à peu toute sa dimension.
Ce qui est fascinant, c'est aussi de voir avec quelle détermination, avec quelle ténacité et quelle énergie, fustigeant le découragement inévitable de la création, le doute du "faire"... l'artiste bâtit son oeuvre, implacablement, sans dévier un tant soi peu de son engagement initial.
Je travaille avec Marie-Claude depuis vingt cinq ans... vingt cinq ans d'humain, c'est beaucoup, et bien peu tout à la fois. Nous avons parfois mélé les couleurs et les sons, les formes et les notes, mélangés les mots, et puis, aussi, simplement rêvé l'art. Travailler avec Marie-Claude engage totalement. Toute hypocrisie, même latente, toute suscpition, toute forme de retrait à peine pensé... conduit inévitablement à l'échec, avant même que le projet ait pris corps. La confiance réciproque se doit d'être pleine et entière. Marie-Claude ne saurait supporter le moindre voile, qui ne soit pas de lumière. C'est alors, seulement, que le vécu devient partage, authentiquement tendu vers son aboutissement. Les pas suivent le même chemin, les regards plongent vers le même horizon.
Mais l'oeuvre de Marie-Claude n'accepte pas toujours le partage avec d'autres créateurs. Il ne faut jamais tenter d'imposer, chercher à s'immiser, vouloir contre la peintre.
Ce sentier de la création, que je parcours avec elle, ne saurait avoir de fin. L'oeuvre de Marie-Claude n'a pas de fin, elle nous donne à rêver, à croire et à aimer, à être. Ici, se tient l'artiste.
   

J'ai écrit cet article en novembre 2009.